PAR CLAUDE JANNOUD
[20 janvier 2005]
Chrysippe. Oeuvre philosophique, Textes traduits et commentés par Richard Dufour, Deux tomes, bilingue, Belles Lettres, collection "Fragments".
Zénon fut le fondateur du stoïcisme mais Chrysippe en fut la figure la plus importante. Au cours des siècles suivants, des penseurs de premier ordre ne cessèrent de le commenter. Parmi eux, Cicéron, Sénèque, Marc Aurèle, Plutarque, Galien, Diogène Laërce, etc. Il aurait écrit environ sept cent cinquante livres mais aucun ne nous est parvenu. Seuls quelques fragments ont survécu au naufrage. Sur lui, on sait seulement qu'il naquit au sud de la Turquie en 281 et mourut à Athènes en 205 avant Jésus Christ. Il suivit les cours de Cléanthe, autre figure de proue du stoïcisme, avant d'enseigner lui-même. Il gagnait sa vie grâce aux dons de ses élèves. Jusqu'au Ve siècle de notre ère, il eut une influence considérable, surpassant en célébrité ses maîtres, Zénon et Cléanthe.
Longtemps oublié, il fit une rentrée impressionnante au début du siècle dernier. Un philologue allemand, Von Armin, publia des commentaires sur son oeuvre, classés de manière thématique, mais son livre ne fut pas traduit en français.
Grâce à Richard Dufour, cette lacune est désormais comblée. Il a publié des textes grecs et latins des commentateurs de Chrysippe avec en regard une traduction française. En définitive, deux gros volumes qui permettent d'avoir une vue d'ensemble sur une oeuvre encyclopédique. On y aborde tour à tour la théorie de la connaissance, la syllogistique, la cosmologie, la météorologie, la théologie, la divination, le destin, etc.
La lecture de ces deux volumes est passionnante et devrait séduire un large public. Clarté et profondeur sont leurs vertus maîtresses. Certaines des interprétations sont élogieuses, d'autres, critiques ou neutres, ce qui permet de nombreuses approches du stoïcisme, ce monument philosophique de la période hellénistique.
Chrysippe ne ménage personne. Ni Platon ni Aristote, dont il célèbre à l'occasion les mérites et surtout ses ennemis intimes, les épicuriens, sa cible favorite. Il n'hésite pas à dire ses différences avec ses maîtres, Zénon et Cléanthe.
Deux principes sont à l'origine de l'univers : l'un actif, Dieu, l'autre passif, la matière. Puisqu'ils sont inengendrés et incorruptibles, ces principes sont éternels. Les stoïciens font de Dieu la cause active immanente de l'univers. Dieu pénètre toute chose. Dieu, c'est Zeus, les autres habitants de l'Olympe sont des doublures à son service. L'univers est un mélange de matière et de vie. Il n'existe pas d'autre monde. Les stoïciens rejettent les conceptions atomistes des épicuriens sur la pluralité du monde.
En revanche, les deux écoles se rejoignent sur la nature corporelle de l'âme. L'âme et le corps interagissent l'une avec l'autre. Car le corps reçoit les commandements de l'âme et l'âme subit les affections du corps. Toutes les âmes sont corruptibles. Les stoïciens cependant ne s'entendaient pas sur la durée et la survie de l'âme après sa séparation avec le corps. Certains pensaient que seules les âmes des sages perduraient.
Ce qui renvoie aux conceptions anthropologiques, morales, psychologiques de Chrysippe. L'homme est privilégié parmi les êtres vivants. Il vient immédiatement après Dieu. Le fondement de sa connaissance est la représentation. Représentation des objets, du monde, de soi, représentation qui alimente l'imagination et parfois les fantasmes.
Chaque être possède une qualité commune et une qualité propre. Dans le cas de Socrate, par exemple, la qualité commune est «homme», la qualité propre est«Socrate». Ce qui renvoie à la notion de la responsabilité de l'individu. Si la représentation est la voie incontournable vers la connaissance, la réaction de chaque homme dépend de lui. C'est en quoi il est responsable. C'est la base de la morale stoïcienne.
Une des vertus de ce livre est non seulement de nous commenter la doctrine de Chrysippe et d'offrir un panorama complet du stoïcisme mais aussi, par le biais des commentaires et des critiques, de le confronter aux autres écoles philosophiques. C'est une remarquable présentation de la pensée grecque dans sa diversité incomparable....